L’origine du patronyme Mesqui ne fait guère de
doute : il s’agit du même mot que l’adjectif mesquin aujourd’hui à
connotation péjorative dans la langue française. Ce qualificatif dérive de
l’arabe miskîn’. Il signifie « humble, misérable,
servile, miséreux, pauvre, soumis »
[1].
L’adjectif
passa de l’arabe aux langues occitanes dès avant le XIe siècle, exprimant la
faiblesse, l’humilité, le caractère misérable. Ainsi, dans le poème
Pos de chantar de Guillaume IX, duc d’Aquitaine (1077-1127), écrit en langue
provençale, un des couplets résonne ainsi :
Si ben
non es savis ni pros, Cant
ieu serai partiz de vos, Vias
l’auran tornat en jos,
Car lo
verian jov’e mesqui. |
S’il
n’est ni sage ni puissant, Quant je
vous aurai quitté, Ils
l’auront bientôt mis à terre, Car ils
le verront jeune et faible. |
Guillaume
parlait de son fils, qu’il laissait pour partir vers la mort, la guerre et le
péril ; pour la rime, il usa de l’adjectif mesqui, qu’il fit rimer
avec Limozi (Limousin), cozi (cousin),
Angevi (Angevin), lati
(latin), fi (fin). La prononciation devait être un « i »
ouvert, avec ellipse du « n » final.
Le poète
Peire Cardenal, qui écrivait avant 1209 en pays auvergnat, écrivait, dans un de
ses poèmes faisant la satire d’un personnage riche, voleur, glouton et
grossier, mais plus généralement, la satire du droit des riches :
Aquest
dretz es plu dretz c’una sageta/ Que-l laire penda-l lairo mesqui (« Ce
droit est, dirait-on, plus droit qu’une flèche qui veut que le riche larron
pende le larron misérable »)
[2].
La langue espagnole (castillane), la langue portugaise, la langue catalane ont assimilé cet adjectif d’origine arabe : en castillan, c’est mezquino, en portugais c’est mesquinho, en catalan c’est mesquí, en occitan c’est mesquin’ ou mesqui. Dans le répertoire culturel catalan, l’on trouve aujourd’hui une référence fréquente à l’usage mesqui. De très nombreux poèmes anciens écrits en langue catalane utilisent ce mot. Ainsi, dans un poème de Bernat Serra : A, cor mesqui, presoner, mes en guatge ! (« Ah, pauvre cœur, prisonnier et mis en gage ! »). Dans un poème anonyme, destiné au prince de Moncade, véritable code de vie, le rédacteur écrivait : Tot hom errant es regla natural/ que cerche loch per tornar a carera - Donchs, tu, mesqui, com no cerques cendera per a tornar a vida divinal ? (Pour tout homme errant, une règle naturelle est de chercher un lieu pour rebrousser chemin. Alors, pauvre de toi, pourquoi ne cherches-tu pas la cendre pour te tourner vers la vie divine ? ») [3].
L’adjectif
et qualificatif mesquí est resté d’usage courant dans la langue
catalane. Un poème de Joan Salvat-Papasseit (1894-1924), intitulé
Res no és
mesquí, a été mis en chanson par Joan-Manuel Serrat en 1977. Il est
difficile de traduire le titre de ce poème mis en chanson, tant il est
contradictoire dans sa vision : « rien n’est méprisable », titre pessimiste qui
cache un texte montrant au contraire que tout, de la vie, est à aimer
[4]. Cet usage catalan reflète parfaitement l’usage de
l’adjectif dans la sphère occitane au nord des Pyrénées.
Le
patronyme mesqui semble donc résulter de l’attribution, à une époque sans
doute ancienne, d’un sobriquet marquant la pauvreté, l’humilité, la misère ou la
servilité, à l’un des membres de la famille. L’adjectif étant parfaitement
intégré dans les langues occitanes dès le XIe siècle, il n’est nul besoin de
rechercher des racines arabes à notre famille. Elles existent peut-être ; mais
il s’en faut qu’elles soient prouvées, même si…
[5].
Mais le
patronyme mesqui ne fut pas toujours prononcé comme aujourd’hui, avec un
e ouvert ; en effet, dès la fin du XVIIIe siècle et au XIXe
siècle, l’orthographe musqui fut fréquente. De 1760 à 1868 au moins,
cette orthographe a été utilisée en concurrence de la graphie actuelle
[6]. Il est donc fortement probable que le nom ne se
prononçait pas comme aujourd’hui ; d’ailleurs, il suffit d’écouter la chanson de
Joan-Manuel Serrat pour entendre une prononciation fermée, « meusqui » dans la
langue catalane, qui doit ressembler à la prononciation occitane.
D'une façon constante au cours des XVIIIe et XIXe siècles, voire même du début du XXe siècle, les documents officiels consultés pour la famille portent indifféremment les deux graphies Mesqui et Musqui ; ce n'est en fait qu'après la première guerre Mondiale que les graphies se cristallisèrent. Le cas le plus intéressant est celui d'un des rameaux de la branche des Mesqui de Villa qui finit par prendre le nom de Musqui : il s'agit de la famille d'Étienne Jean de Villa, appelé Mesqui jusqu'au recensement de 1906, puis Musqui en 1911. Son fils Pierre "Henri" de la Rivière et les enfants de celui-ci sont définitivement recensés comme Musqui à partir du recensement de 1921 (voir famille Mesqui de Villa). On peut noter également dans les recensements de 1921 à 1936, trois femmes dont le nom s'est stabilisé en Musqui : Anne Jeanne des Guignes, fille de Pierre II des Guignes, épouse Maurial ; Marie Yvonne de Bourtoulet, épouse Berguié, petite-fille d'Étienne Jean de Villa ; Marie II de Vassal, épouse Gipoulou, fille de Jean IV de Vassal.
Aucune de ces filles Musqui n'eut, évidemment, de descendance Musqui ; en revanche, la famille de Pierre "Henri" de la Rivière Musqui a prospéré, puisqu'il eut quatre fils qui ont eux-mêmes des descendants masculins.
Il est
remarquable que ce patronyme extrêmement ciblé n’ait eu qu’une diffusion
extrêment limitée dans le temps et dans l’espace. Cette faible diffusion se
traduit aujourd’hui par la rareté du patronyme, à toute époque connue grâce aux
archives.
Une bonne façon de s'en rendre compte est de consulter l'un quelconque des sites qui fournissent les statistiques de naissance de 1891 à 1990, d'après les recensements collectés par l'INSEE [7]. Le tableau ci-dessous est extrêmement parlant, tant pour les Mesqui que pour les Musqui.
Naissances | 1891-1915 | 1916-1940 | 1941-1965 | 1968-1990 | 1891-1990 | TOTAL | |||||
Départements | Mesqui | Musqui | Mesqui | Musqui | Mesqui | Musqui | Mesqui | Musqui | Mesqui | Musqui | |
Charente |
|
|
1 |
|
|
|
|
|
1 |
|
1 |
Dordogne |
|
|
1 |
|
|
|
|
|
1 |
|
1 |
Gironde |
*2 |
|
|
|
|
|
|
|
*2 |
|
*2 |
Haute-Garonne |
|
|
|
|
|
|
|
1 |
|
1 |
1 |
Ille-et-Vilaine |
**1 |
|
|
|
|
|
|
|
**1 |
|
**1 |
Lot |
1 |
|
|
1 |
|
5 |
|
1 |
1 |
7 |
8 |
Lot-et-Garonne |
3 |
5 |
8 |
7 |
4 |
4 |
1 |
7 |
16 |
23 |
39 |
Haute-Marne |
|
|
|
|
*2 |
|
|
|
*2 |
|
*2 |
Pyrénées-Atlantiques |
*1 |
|
|
|
|
|
|
|
*1 |
|
*1 |
Saône-et-Loire |
|
|
**1 |
|
|
|
|
|
**1 |
|
**1 |
Paris |
|
|
|
|
***6 |
|
***4 |
|
***10 |
|
***10 |
Hauts-de-Seine |
|
|
|
|
|
|
***5 |
|
***5 |
|
***5 |
Total |
8 |
5 |
11 |
8 |
12 |
9 |
10 |
9 |
41 |
31 |
72 |
Total moins les branches*,**,*** |
4 |
5 |
10 |
8 |
4 |
9 |
1 |
9 |
19 |
31 |
50 |
***Branches de Bayonne-Paris et Bretagne-Région parisienne
Il montre, en effet, que les patronymes Mesqui et Musqui émanent de la même source géographique, le département du Lot-et-Garonne. Dans le tableau ont été marqués d'astérisques les naissances intervenues dans des branches descendantes du Lot-et-Garonne telles qu'on peut les retracer par l'histoire familiale ; qu'on en fasse abstraction, ou qu'on les compte comme du Lot-et-Garonne, les chiffres du tableau sont sans équivoque. Les deux noms viennent du Lot-et-Garonne, le seul foyer étant, à la fin du XIXe siècle, ce département. Ceci renforce l'hypothèse de l'ascendance des Musqui actuels depuis le rameau de la famille de la Rivière (voir ci-dessus).
On peut compléter cette analyse réalisée à partir des recensements par une autre
recherche.
Un excellent outil à disposition du chercheur de liens
familiaux modernes se révèle être les pages blanches de l’opérateur historique,
France-Télécom
[8]. Il en ressort, au 30 mars 2003 :
- cinq foyers Mesqui dans le
Lot-et-Garonne, dont trois identifiés et deux non identifiés à
Villeneuve-sur-Lot à ce jour ;
- cinq foyers Mesqui en Île-de-France, tous identifiés ;
- un foyer Mesqui en
Maine-et-Loire, identifié ;
- un foyer Mesqui dans les
Hautes-Alpes, non identifié à ce jour.
À la même
date, on trouve :
- six foyers Musqui dans le
Lot-et-Garonne ;
- quatre foyers Musqui dans la
Haute-Garonne ;
- un foyer Musqui dans le Lot ;
- un foyer Musqui dans le Tarn ;
- un foyer Musqui dans la Corrèze.
C’est
tout ; c’est peu, sachant qu’une bonne partie de ces « foyers
téléphoniques » sont connectés les uns aux autres par des liens de
familiation directe. Les patronymes Mesqui et Musqui sont rares ;
bien sûr, ceci traduit l’évolution naturelle d’une famille où les filiations
masculines ont pu être décimées par les guerres, ou tout simplement où elles
n’ont pas existé. Mais, plus profondément, ceci atteste du fait que ces
patronymes n’ont jamais été, sur le territoire actuel de la France, couramment
utilisés.
Il est très difficile d'évaluer quelle fut la diffusion de ce patronyme en dehors des frontières de la France actuelle : il peut paraître présomptueux de s'en préoccuper, l'aire originelle du nom en France représentant le territoire d'une petite commune... Pourtant, l'étymologie de ce patronyme invite à rechercher dans les pays méditerranéens, Espagne, Portugal, mais aussi les pays d'Amérique du Sud. En consultant les annuaires sur le web - outil nécessairement sommaire, j'ai pu trouver un Mesqui au Portugal (Joao Candido Mesqui Soares Oliveira). On trouve aussi au Brésil quelques rares Mesqui, en général dans des noms composés, comme celui du Portugal. En revanche, je n'en ai pas trouvé en Espagne, mais je n'oserais affirmer que ma quête a été exhaustive.
Aussi, lorsque j'ai reçu un e-mail de Daniel Mesqui, provenant d'Argentine le 25 juillet 2003 me disant : Hola, mi nombre es mesqui daniel y estoy tratando de encontrar el origen de mi apellido si ud. prodria ayudarme se lo agradesco, en argentina hay muy pocos. todos somos parientes, je me suis dit que, finalement, le Lot-et-Garonne n'est peut-être que le début d'un écheveau bien plus complexe... À suivre donc !